25.8.12

Le refuge des Dieux. Les "éclairs intérieurs" de Gustave Moreau

"La pintura è cosa mentale."
Leonardo da Vinci

























1&2 Palettes d'aquarelles
3 Les heures arrêtant le char du soleil © RMN / René-Gabriel Ojéda
4 Les chimères © RMN / René-Gabriel Ojéda
5 Autoportrait 1850, Musée national Gustave Moreau


Quand la couleur devient la substance, l'étoffe même des mythes, son énergie vivante... 
Il semble bien qu'avec ses palettes qui deviennent de pures abstractions Gustave Moreau atteigne la cible de la quête de toute une vie, touche au coeur même de son inspiration, de son rêve plastique.
"N'étant plus en goût ni de me défendre, ni de rien vouloir rien prouver à qui que ce soit, j'en suis arrivé à cet état bienfaisant d'une humilité délicieuse vis-à-vis de mes vieux maîtres du passé et de cette unique joie de pouvoir m'exprimer librement et en dehors de toute juridiction." (Gustave Moreau) 
Car ces palettes sont l'essence même de son génie, elles ne sont pas de simples arrangements de couleurs sur un support elles sont l'identité même de ce peintre, elles sont la synthèse et la captation de la matière métaphysique du rêve des hommes, peut-être ce que Robert de Montesquiou a vu comme le refuge des Dieux.
"Recherchons donc ensemble, si vous le voulez bien, quel est le caractère principal de l'œuvre de Gustave Moreau.  Après l'avoir examinée a loisir, dans toutes ses parties, depuis déjà bien des ans, je suis arrivé à cette conclusion -que plusieurs d'entre vous partageront peut être avec moi- qu'elle est un refuge. Et je ne peux dire seulement un refuge pour le regards amoureux de riches coloris, et pour les pensées éprises d'étranges rêves : cela va de soi, et ne représente de la question que son côté extérieur et plastique. Non, il en est plus métaphysique et plus profond. Disons donc de l'œuvre de Gustave Moreau, en tant que refuge qu'elle est le refuge des Dieux." *
Il faut avoir vu ces palettes "en vrai", sans doute, pour sentir ce qu'elles portent en elles de sacré et de mystérieux. 

*Robert de Montesquiou

Altesses sérénissimes, Paris 1907





J. Godeau, M.-C. Forest, L. Capodieci et al., Gustave Moreau : mythes et chimères. Aquarelles et dessins secrets du musée Gustave Moreau, catal. expos., Musée de la vie romantique, Paris-Musées-Réunion des musées nationaux, Paris, 2003. Catalogue de l'exposition du Musée de la vie romantique, 22 juillet- 9 novembre 2003.

Réunion des Musées Nationaux, catalogue des collections.




14 rue de la Rochefoucauld 
Paris 9ème







20.8.12

La disparition du sens. Le rêve en couleurs de Marguerite Duras




Dans la montagne la chaleur était tellement sans recours qu'on la supportait presque mieux qu'en bas, qu'au bord de la mer. Là elle était face à vous, dans une hostilité loyale, sans appel. 
--J'ai peur des abeilles, dit Sara.
-- De quoi tu n'as pas peur, dit Diana.
--Marche derrière moi, dit Gina.
Elle se mit sur le côté et la laissa aller derrière elle.
Il y  a aussi l'angoisse du soleil, dit Diana. Je ne savais pas avant de venir dans ce pays.

Marguerite Duras

















38° C à Senlis. L'air est sec, brûlant et vénéneux. Dans cette petite ville de province où tout semble mesuré, voilà soudain l'excès, la démesure. Soudainement une grande dune de sable blanc a pris la place de la cathédrale de pierre grise et moisie. Le soleil est devenu l'ennemi. 
Je relis  Les Petits chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras.  Rien. C'est un livre fait de presque rien. Des dialogues de tous les jours, des verres de Campari bus à toute heure, un fleuve qu'un passeur fait traverser, une chaleur écrasante, la montagne qui s'enflamme et la mer qui épuise, un petit village du Sud de l'Italie. Deux couples fatigués l'un de l'autre cherchent des vacances à l'amour. D'où vient la magie, l'envoûtement de l'écriture de Duras? D'où vient qu'on ne peut épuiser ce texte, qu'il résiste à chaque nouvelle lecture, que son mystère est toujours vivant, toujours recommencé. Comment Marguerite Duras s'y prend-elle pour organiser ainsi la disparition du sens, pour le diluer dans le désir des fresques de Tarquinia?



-- Bonsoir, dit-il. Je ne sais pas pourquoi, les boules ça m'ennuie ce soir. 
-- On parlait d'un petit voyage qu'on pourrait faire à Paestum dit Sara,
-- C'est très beau Paestum, dit Ludi. 
-- Tu pourrais venir avec nous, dit Jacques. On s'arrêterait à Tarquinia. 
Sara reconnaissait mal la voix de Jacques. Il parlait d'un ton harassé. 
C'est une bonne idée Tarquinia, dit Ludi.
Vous allez voir ces petits chevaux des tombes étrusques.  Ils sont beaux comme je ne sais pas quoi. (...)




-- Trop tard, dit l'épicier. C'est par amour qu'on va dans les villes, par amour de l'amour, quoi. Ah! ce que je les ai aimées les villes, à la folie. J'ai fait pendant très longtemps des rêves en couleur de villes imaginaires où j'aurais circulé librement, à l'aventure. Mais les rêves n'ont pas suffi et je suis devenu un peu méchant. (...)




-- Il n'y a pas de vacances à l'amour, dit-il, ça n'existe pas. L'amour il faut le vivre complètement avec son ennui et tout, il n'y a pas de vacances possibles à ça. 
Il parlait sans la regarder face au fleuve.
-- Et c'est ça l'amour, s'y soustraire, on ne peut pas.  (...)


Marguerite Duras, Les petits chevaux de Tarquinia, 1953







2 Les chevaux ailés de Tarquinia
3 Le temple de Poséidon à Paestum



For English readers, see on  Google books, The little horses of Tarquinia translated by Ann Lenore Derrickson. 

16.8.12

Eco-design. Katrin Arens' Love for Recycling























Pictures Marie-Claire Maison and Katrin Arens' unique pieces for sale

35° Celsius today. Summer at last! I like the feeling of coolness conveyed by the simple, rustic and minimalist atmosphere of Katrin Arens' Lombardian country house. Located in former convent buildings from the XVth century; the legend tells that Leonardo da Vinci slept here. Who has never dreamed of transforming wood from old  country houses or dilapidated city homes to give them back a new and unexpected life and yet maintening something of the past? 





14.8.12

The Sublime in Contemporary Art. Hiroshi Sugimoto's Views of the Invisible




"Every time I view the sea, I feel a calming sense of security, 
as if visiting my ancestral home; I embark on a voyage of seeing."

Hiroshi Sugimoto















Black Sea, Ozuluce, 1991. Gelatin silver print, edition 14/25, 16 5/8 x 21 5/16 inches (42.2 x 54.1 cm) . Solomon R. Guggenheim Museum, New York,Gift, The Bohen Foundation  2001.270. © 1991 Hiroshi Sugimoto
Tasman Sea, Ngarupupu, 1990. Gelatin silver print, edition 5/25, 16 9/16 x 21 3/8 inches (42.1 x 54.3 cm) . Solomon R. Guggenheim Museum, New York,Gift, The Bohen Foundation  2001.268. © 1990 Hiroshi Sugimoto 
Tyrrhenian Sea, Amalfi, 1990. Gelatin silver print, edition 11/25, 16 1/2 x 21 3/8 inches (41.9 x 54.3 cm). Solomon R. Guggenheim Museum, New York,Gift, The Bohen Foundation  2001.269. © 1990 Hiroshi Sugimoto
Ligurian Sea, near Saviore,1993.Silver Gelatin Print 182,4 x 154,2 cm © Hiroshi Sugimoto/ courtesy of Gallery Koyanagi . Exhibited in Le temps retrouvé, Collection Lambert, 2011


When I saw these huge gelatin silver prints of Sugimoto's seascapes series for the first time last year at the Collection Lambert during the exhibition Le temps retrouvé I felt literally drawn into Sugimoto's image, lost into a sea of meditation. Since then I read and thought much about his work. I grew really enthusiastic when I learnt that he began working in 1980 on an ongoing series of photographs of the sea and its horizon, Seascapes, in locations all over the world. The black-and-white pictures are all exactly the same size, bifurcated exactly in half by the horizon line. How can he drive the viewer to want always to look closer at his seas of "time exposed"?  His use of an 8×10 large-format camera and extremely long exposures  up to three hours enables him to explore both physical and spiritual boundary as well as  the phenomenology of the picture plane.  
While deeply metaphysical and existential these photographs are a meditation on photography itself.











Hiroshi Sugimoto, self-portrait 2003





13.8.12

Lyrisme du quotidien (1) . La maison natale de Colette


La façade principale, sur la rue de l’Hospice, était une façade à perron double, noircie,
à grandes fenêtres et sans grâces, une maison bourgeoise de vieux village, 
mais la roide pente de la rue bousculait un peu sa gravité, et son perron boitait,
 six marches d’un côté, dix de l’autre. 
Grande maison grave, revêche avec sa porte à clochette d’orphelinat,
 son entrée cochère à gros verrou de geôle ancienne, maison qui ne souriait que d’un côté. *















Quand je suis arrivée pour la première fois devant le Musée Colette de Saint-Etienne-la-Puisaye j'ai eu le sentiment d'être flouée. Ce n'était pas là la maison bourgeoise et "boiteuse" de Colette qui "ne souriait que d'un côté". Celle-là avec son faux air de château ne sied guère à la désinvolture sans façon de Colette toujours prête à bousculer l'étiquette et la bienséance. Et bien voilà le mal est réparé et Colette va enfin retrouver sa maison d'enfance, la maison que Sido et le Capitaine durent quitter  pour dettes après la vente aux enchères publiques, le 15 juin 1890, des meubles qu'ils ne pouvaient emporter à Châtillon sur Loing, quand la jeune Gabrielle n'avait encore que dix-sept ans.   

Son revers, invisible au passant, doré par le soleil, portait manteau de glycine et de bignonier mêlés, lourds à l'armature de fer fatigué, creusée en son milieu comme un hamac, qui ombrageait une petite terrasse dallée et le seuil du salon... Le reste vaut-il que je le peigne, à l'aide de pauvres mots? Je n'aiderai personne à contempler ce qui s'attache de splendeur, dans mon souvenir, aux cordons rouges d'une vigne d'automne que ruinait son propre poids, cramponnée, au cours de sa chute, à quelque bras de pin. Ces lilas massifs dont la fleur compacte, bleue dans l'ombre, pourpre au soleil, pourrissait tôt, étouffée par sa propre exubérance, ces lilas morts depuis longtemps ne remonteront pas grâce à moi vers la lumière, ni le terrifiant clair de lune, - argent, plomb gris, mercure, facettes d'améthystes coupantes, blessants saphirs aigus, - qui dépendait de certaine vitre bleue, dans le kiosque au fond du jardin. *

Depuis septembre 2011, la maison où Colette a passé son enfance est classée "lieu de mémoire littéraire". Les travaux de réhabilitation sont menés par Pascal Prunet, architecte en Chef des Monuments Historiques assistés de spécialistes expérimentés et passionnés par le défi de la restitution d'un univers aussi intime qu' insaisissable. 

Maison et jardin vivent encore, je le sais, mais qu'importe si la magie les a quittés, si le secret est perdu qui ouvrait, - lumière, odeurs, harmonie d'arbres et d'oiseaux, murmure de voix humaines qu'a déjà suspendu la mort, - un monde dont j'ai cessé d'être digne ? (...) *


* Colette, La maison de Claudine, chapitre 1
  

"Maison et jardin vivent encore, je le sais(...)." Oui ils vivent encore et plus encore. Ils sont partie intégrante de l'héritage  des lecteurs de Colette et leur lumière blessante de "saphirs aigus", leur gravité provinciale vont continuer de façonner leur goût et leur désir de maison. Dans Claudine à l'école, La maison de Claudine, Sido ou Dialogues de bêtes, Colette a fait de la maison de son enfance, de son paradis perdu un personnage à part entière. Il me semble qu'il manque à La poétique de l'espace de Gaston Bachelard un chapitre sur la phénoménologie de l'ombre et de la lumière qui sont parties constituantes de la géométrie de l'espace et à tout le moins de sa perception. En re-parcourant les écrits de Colette pour trouver les passages où elle parle de ses maisons ou d'appartements, des lieux qui l'ont accueillie ou repoussée, j'ai été particulièrement attentive à ses relevés de la lumière. Les appartements parisiens tout blanc et baignés de lumière électrique lui font regretter les coins et "rabicoins" de son cher Montigny de fiction. Il faudrait citer et analyser les nombreux passages où elle note avec une précision 
de scientifique
et une justesse d'observation de poète les états de la lumière.










Avenue de Wagram, ma tante Coeur habite une magnifique maison neuve déplaisante. (...) Moi, tout ce blanc des murs, de l'escalier des peintures m'offense un peu. (...) Le salon où nous attendons une minute continue désespérément les blancheurs de l'escalier. Boiseries blanches, meubles blancs et légers, coussins blancs à fleurs claires, cheminée blanche. Grand Dieu, il n'y a pas un seul coin sombre! Moi qui ne me sens à l'aise et en sécurité que dans les chambres obscures, les bois foncés, les fauteuils lourds et profonds! Ce "quinze-seize"* blanc des fenêtres, il fait un bruit de zinc froissé...(...)

"Petite fille, vous ne préfériez pas un joli logis clair comme celui-ci à cette rive gauche noire et mal fréquentée?
--Ma tante, je crois que j'aime mieux la rue Jacob et l'appartement de là-bas, parce que les chambres claires me rendent tristes.(...)"
Ce salon blanc avec des poires électriques dans tous les coins, me rendra épileptique. (...)
La salle à manger est blanche aussi! Blanche et jaune, mais c'est quasiment. Et les cristaux, les fleurs, la lumière électrique, tout ça fait un raffut sur la table, à croire qu'on l'entend. C'est vrai, ces pétillements de lumière me donnent une impression de bruit. (...)
"Marcel, mon mignon, montre un peu l'appartement à Claudine. Tache qu'elle s'y sente un peu chez elle, sois gentil...
--Venez, me dit le "mignon"", je vais vous montrer ma chambre."
J'avais bien pensé qu'elle était blanche, elle aussi! Blanche et verte, avec des roseaux minces sur fond blanc. mais tant de blancheur m'inspire à la fin l'envie inavouable d'y verser des encriers, des tas d'encriers, d'y noircir les murs au fusain, de souiller ces peintures à la colle, avec le sang d'une coupure au doigt... Dieu comme je deviendrais perverse dans un appartement blanc!
*étoffe de soie
Claudine à Paris

C'est en voyant Marianne Evennou rechercher inlassablement une lumière douce et tamisée, traquer les jeux de l'ombre et de la lumière, lors d'une de ces journées d'été si rares à Senlis où le ciel est d'un bleu de saphir aigu,, alors qu'elle s'amusait à prendre en photo l'intimité d’une maison senlisienne que ces réflexions me sont venues. Merci à toi Marianne pour ce regard  tout en  délicatesse.