28.5.14

Fenêtre


D'où vient que les enveloppant, mon regard ne les cache pas,
 et, enfin, que, les voilant, il les dévoile?

Maurice Merleau-Ponty*








La fenêtre hollandaise se donne à voir comme un tableau. Elle est une ouverture sur le monde autant qu'une fermeture sur soi. Conçue comme le cadre d'une peinture, elle est une limite opacifiante, un écran entre la chambre close et les territoires de l'au-delà. De là, l'incroyable absence de rideau, à nos yeux, puisqu'elle cache et dérobe à la vue du passant ce qu'elle est censée laisser voir, la naissance du moi et de l'intime. Nul besoin de cet artifice puisqu'elle offre une fiction où le temps et le mouvement se sont figés. Née à l'apogée de l'éloge du quotidien et de sa banalité, elle s'offre comme une nature morte, a still life, un moment de pure présence, d'immobilité et de silence. La promesse d'une vie tranquille. Horizon ultime, elle est un il y a et rien de plus. Elle se donne comme un renversement où celui qui voit est renvoyée à lui-même à son reflet dans la vitre. Elle dessine les territoires du moi, un sol natal où poussent les fleurs dans un vase, où souvent un chat parachève ce rêve d'immobilisme par un sommeil sans fin. Entre surface et profondeur, la fenêtre semble sans épaisseur. Sur sa surface de verre inégale, les objets deviennent le miroir des autres objets et le jeu des reflets, un paysage de vibrations muettes. Descendue à hauteur d'oeil au Siècle d'or, la fenêtre hollandaise et flamande met en scène la réversibilité de l'être, le moment où "l'invisible se fait doublure, profondeur charnelle du visible"*. Elle est tableau, poème et couleur à la fois. 


*Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l'invisible, Gallimard, 1964


Photographie, Haarlem© J' attends...

26.5.14

Layer upon Layer. Daisuke Yokota's Haunting Places


I dream, therefore I am.

August Strindberg












Playing with memory, elusiveness and loss, Yokota opens the shutter on sublime mindscapes where time and space blur and collapse. Through an intense processing of reworking his material digitally, in his darkroom, or by rephotographing it several times, he emphasizes his understanding of photography as a medium that irrevocably escapes you. In an interview with Peggy Sue Amison he further explains: "When you're going to sleep, you think about the stuff that happened to you that day. You might see some images but they're completely distant from what really happened- they're hazy. You're trying to recall something, and photography can also recall things in this way.(...) I think using these effects of delay, reverb and echo - in photographic terms, developing the film 'badly' and so on, might be a way to alter the sensation of time in a visual way."



FOAM*

Daisuke Yokota
Site/Cloud

16 May 2014 - 06 July 2014


FOtografiemuseum AMsterdam
  Keizesgracht 609
 Amsterdam









*Free guided tour and dinner with organic food every Thursday evening in Foam café.



1, 2 Photograhs © Daisuke Yokota, G/P Gallery
3 Photograph © J'attends...

21.5.14

Le grand désordre. Kitty Crowther's Little Devils


La journée, il faut de l'ordre, la nuit, je ne sais pas. Je dors.
Qui sait, peut-être que les choses bougent de place la nuit.

Kitty Crowther








Il fait un peu gris dehors, parfaite journée pour nettoyer. Emilienne  a vidé toutes les armoires de sa cuisine. Il y en avait des choses: des mites, des pâtes qui datent d'avant sa naissance. Du moins, c'est ce qui est indiqué sur l'emballage. Elle a retrouvé son cerf-volant, une des ses brosses à dents, un bec de mouette séché et une vieille photo en noir et blanc de mère-grand. En tailleur  à carreaux, une cigarette en main et le regard perdu dans un songe.(...)
Lorsqu'il fait nuit, épuisée, Emilienne s'installe pour dormir dans dans une des armoires de la cuisine, avec un gros coussin, un sac de couchage, une bougie et une lampe de poche. Il faut attendre toute la nuit que sa chambre sèche. Tout sent merveilleusement bon.(...)
Daguerréotype a pris possession de l'armoire au-dessus, sa queue dépasse, en forme de point d'interrogation à l'envers. En voulant l'aider, il a cassé trois tasses en porcelaine. Emilienne les a recollées. Elle les a remplies de terre et y a planté trois graines de capucine. Elles dorment, à présent, sur son balcon. 
Cette nuit-là, Emilienne rêve de jungle de capucines et de mère-grand en tailleur à carreaux.


Emilienne, the girl sitting in the green armchair, has trouble organizing her things. I actually wrote this story to a friend of mine, who – just like me – doesn’t particularly enjoy cleaning up.
When working on the book I was thinking about how we judge each other by how messy we are. The small black creatures come from the messy world. I quite like them.
I enjoy the thought that we can see more than we might first think. Sit quietly and still. Once you’re completely bored, the small black creatures will appear…



Kitty Crowther is a Belgian illustrator and author born in Brussels in 1970 to a British father and a Swedish mother. She spent much of her childhood in Veere, a small Zeeland haven. It definitely shaped her relationship to nature.
Born with an hearing impairment, she could not speak before the age of 4, as a result of which she developed an acute awareness to atmosphere, body language and the invisible.
"There are so many ways to believe, Kitty Crowther told a journalist, I believe in everything you can´t see."










1 Kitty Crowther, Le Grand désordre, Seuil jeunesse 2005
2 Le Monde de Kitty Crowther, Pastel, l'école des loisirs

9.5.14

Classic with a Twist. Into Paul Smith's Head


Everyday is a new beginning

Paul Smith



















An ode to Instability and Movement



For  Sir Paul Smith, inspiration is everywhere and you can find inspiration in everything. The key point is how you SEE and play around with what you can see. His mind seems endlessly busy with the game, making unexpected connections, reworking the traditions with a contemporary edge, breaking the rules. Since he was 11,  when his father- a photographer in Nottingham, offered him his first camera, he never ceased to take pictures, using his shots as a day to day notebook. I like the way he reworked an engraving of a Victorian rose using the input of Kinetic art to convey an idea of instability, movement and adaptability. Adaptability might be the first of his top ten qualities and the secret of his timeless success. Generosity would come second undoubtedly. 










Hello my name is Paul Smith 


London

15 November 2013- 22 June 2014







1, 5 Photographs from  Hello my name is Paul Smith
2, 3 Photographs via Le Divan Fumoir Bohémien, Le travail de la rose
4, 6 Pol Bury, La Tour Eiffel, Le cycliste, cinétisations photographiques




2.5.14

Order and Disorder. La vie matérielle

Nous sommes là. Là où se fait notre histoire. Pas ailleurs.

Marguerite Duras














La Maison 


La maison, c'est la maison de famille, c'est pour y mettre les enfants et les hommes, pour les retenir dans un endroit fait pour eux, pour y contenir leur égarement, les distraire de cette humeur d'aventure, de fuite qui est la leur depuis le commencement des âges. Quand on aborde ce sujet, le plus difficile c'est d'atteindre le matériau lisse sans aspérité, qui est la pensée de la femme autour de cette entreprise démente que représente une maison. Celle de la recherche du point de ralliement commun aux enfants et aux hommes. 
Le lieu de l'utopie même c'est la maison créée par la femme, cette tentative à laquelle elle ne résiste pas, à savoir d'intéresser les siens non pas au bonheur mais à sa recherche comme si l'intérêt même de l'entreprise tournait autour de cette recherche elle-même, qu'il ne fallait pas en rejeter résolument la proposition du moment même qu'elle était générale.(...) 
La maison manque toujours de place pour les enfants, toujours, dans tous les cas, même celui de châteaux. Les enfants ne regardent pas les maisons, mais ils les connaissent, les recoins, mieux que la mère, ils fouillent les enfants. Ils cherchent. Les enfants ne regardent pas les maisons, ils ne les regardent pas plus que les parois de chair qui les enferment quand ils ne voient pas encore mais ils les connaissent. C'est quand ils quittent la maison qu'ils la regardent. 


Marguerite Duras, La Vie matérielle  P.O.L,  1987









Photographies © Marine Gobled, blog Studio Nord, Bruxelles



1.5.14

Entre peur et utopie. La vie est à nous de Renoir





















Mai 1936, la victoire du Front National est suivie d'une explosion sociale sans précédent. Je ne me suis pas d'abord rendu compte de ce lapsus. Bien sûr, j'avais en tête le Front Populaire. Une période troublée par la montée des fascismes.  Chacun corrigera... Fête du travail ou fête des travailleurs? A chacun son 1er mai. Dans La vie est à nous, Jean Renoir réalise un film de propagande pour le Parti Communiste. Sa nouvelle monteuse et compagne, Marguerite Houllé, née dans une famille de syndicalistes et de militants communistes le sensibilise à la cause ouvrière. Son cinéma prend alors, à partir de 1932, un tournant réaliste et politique avec cette magie si particulière de scènes de la vie quotidienne qu'il semble croquer sur le vif. Un cinéma qui fait rimer politique avec poétique. 


Liens: La vie est à nous sur le site Ciné-archives, Le front populaire des photographes, éditions Terre Bleue, 2006, Fabienne Krigel, Les congés payés en photosCollection Roger-Violet, Hachette, 2006





1 Cliché René Dazy, 1936
2 Cliché Roger-Violet, 1936
3 Sur les Bords de la Marne, Henri Cartier-Bresson, 1938