15.12.15

Cabane et métro

















Elizabeth de Riquet de Caraman-Chimay, comtesse Greffulhe ne suit pas la mode elle la fait. Dans un texte écrit de sa main, elle se met en scène sous les traits d'une femme incomparable : "Elle s’occupe de la mode pour ne pas la suivre, l’ayant donnée. [...] Elle surprend, elle étonne comme une fleur rare. Les yeux et les cœurs, l’amour et la haine volent à elle, l’unique, la non pareille." Pourra-t-on s'étonner de ce désir farouche de se démarquer quand on sait qu'après une brève lune de miel, son mari est retourné à ses maîtresses sans la distinguer de la cohorte de femmes qui courtisaient ses largesses. Sans dot, le Comte Greffulhe l'avait "acquise" pour sa beauté exceptionnelle et ses hautes origines qui fascinaient ses contemporains. Du côté paternel, elle descend en ligne directe de Madame Tallien, l'immortelle Notre-Dame de Thermidor qui avait su jouer de son entregent pour faire échapper à la guillotine nombre d'aristocrates sous la Terreur, du côté de sa mère, cousine germaine de Robert de Montesquieu, sa lignée remonte aux Mérovingiens. Etouffée par son mari et sa belle-mère toute puissante, elle trouve à s'épanouir dans la seule voie qu'il lui fût permis de prendre, la levée de fonds pour des causes de charité. C'est ainsi qu'elle devient une femme de tête, exceptionnelle organisatrice d'événements jouant un rôle clé dans la vie musicale et intellectuelle de son temps. Elle s'intéresse à tout ce qui est nouveau, soutient les arts et les sciences, Schönberg, Pierre et Marie Curie, Edouard Branly et ses recherches sur la téléphonie. Passionnée de politique, "elle n’hésite pas à mélanger dans son salon la fine fleur de l’aristocratie et les ministres ou députés radicaux et socialistes", ce qui lui vaut d'être l'objet d'une violente campagne de presse l'accusant d'être une Dreyfusarde et une pacifiste à la solde de l'Allemagne. Proclamée par la presse, "la femme la plus trompée de Paris", elle n'a de cesse de rester "unique". Elle a presque quatre-vingts ans quand survient la Seconde Guerre mondiale. "Toujours à la barre du "vaisseau fantôme" de la rue d’Astorg, elle se replie dans de minuscules chambres de bonne, plus faciles à chauffer, et fait installer dans ses vastes salons une cabane en bois munie d’un radiateur électrique, où elle reçoit ses amis les plus chers, de l’abbé Mugnier à la reine des Belges." Jacque-Emile Blanche lui écrit: "Des amis me disent qu’on vous voit dans le métro, toujours la plus belle [...]Vous êtes la seule à avoir prévu la catastrophe, l’humiliation de vos deux patries, Belgique et France, la seule femme de votre classe ayant la sincérité d’avouer que, privée de tout, vous ne regrettez pas votre splendeur". Elle a été longtemps éclipsée par la Duchesse de Guermantes, dont elle a été avec Hélène Standish l'une des clés. Proust se serait inspiré de ses traits pour la Princesse de Guermantes et de son élégance particulière pour Odette Swann. Dans les Plaisirs et les Jours, on peut lire ce passage qui a l'éclat triste des reliques : "Sa plus réelle beauté fut peut-être dans mon désir. Elle a vécu sa vie, mais peut-être seul, je l'ai rêvée." 


La mode retrouvée

Musée de la Mode  
10 avenue Pierre-Ier-de-Serbie 75 016 Paris



jusqu'au 20 mars 2016


Photo 1, 2 René Prou, Cabane pour la Comtesse Greffulhe, 1942 
3, 4  Otto (Otto Wegener, dit), Portrait d’Élisabeth Greffulhe en robe du soir et cape doublée d’agneau de Mongolie, vers 1886-1887 Papier albuminé © Otto/Galliera/Roger-Viollet


11.11.15

Untouchable Wildness. Monique Habraken's World of Feathers and Wood


Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui

Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre 

Stéphane Mallarmé, Le  Cygne 










Monique Habraken is a young Dutch designer graduated from Design Academy Eindhoven whose work is concerned with our dealing with nature. She states that her main source of inspiration comes from her childhood spent in her grandfather's farm. Aware of the urgency of preserving wildlife in design she endeavours to take side with it. "A duck swims, walks and flies in the landscape. Then the hunter comes and shoots the duck to keep the population of these animals in balance. The dead duck ends up in a slaughter house, where I found it. I took the feathers put them together again, in this way I'm trying to keep the feeling of untouchable wildness alive." It is how she begins the story of her project One duck stool. She emphasizes the oneness of the animal life. By putting all the feathers of one female duck together again in a unique upholstery she accomplishes a ritual of reparation in which she celebrates the memory of the bird flight. Is it an attempt to repair the slaughter or to pay a tribute to nature for the gift of its life ? Is it a ritual to ward off the violence of our industrial exploitation of the living ? In her project Treepot the teapot is carved out from one piece of wood. The memory of the tree is kept in its untouchable uniqueness. Nobody knows when the metamorphosis process began. Was it the vegetal who turned into an object or will the object return to wildlife again ? Which comes first, which comes second ? In Monique Habraken's world the time line seems to vanish, the frontiers between organic life and material life to be blurred away. Beyond a desire of reparation, it seems to me that her research conjures up the memory of a Natural Contract between Earth and its inhabitants -- the memory of a time when the men respected and honored all living beings for the sacrifice of their life. 



  Link:  Monique Habraken             




1.11.15

De Vent et d'Eau



Forever – is composed of Nows – 
‘Tis not a different time – 
Except for Infiniteness – 
And Latitude of Home –

















Chacun sent confusément que les lieux sont habités. De toute éternité. Avant que les murs ne se dressent et ne se mettent à respirer, il y avait déjà là, à cet endroit unique repéré par la géographie qui est l'écriture de la terre, des traces cachées dans d'autres traces, le tulle du passé, les fils de quelque émotion oubliée, une faille par laquelle s'insinuent d'autres plis du monde. Il y a toujours quelque chose de déjà là avec lequel il nous faut composer pour continuer à écrire nos petites histoires qui rend les murs que nous hantons profonds et inépuisables, irréductibles à jamais à un maintenant qui nous échappe. 


Petit billet écrit en dialogue avec mon amie Marianne, avec laquelle nous aimons tant à croiser nos regards. 




Image © David Lynch, Divided, undated, Watercolour. Photography: Brian Forrest, Naming at Middlesbrough Institute of Modern Art 2014-2015




6.10.15

Petit Théâtre d'Ombres. Dietlind Wolf et Lyndie Dourthe

It may be, of course, above all, that what suddenly broke into this gives the previous time a charm of stillness—that hush in which something gathers or crouches. The change was actually like the spring of a beast. 

Henry James, The Turn of the Screw 




















A Charm of Stillness


Des mains qui germent, des coeurs qui fleurissent, des oreilles enf(d)euillées, des secrets bien gardés, des prunelles qui réfléchissent, des visages qui s'effacent, des fils rouges qui attachent, des liens qui se font et se défont, Lyndie Dourthe nous raconte des histoires de vie et de mort, de passage du temps qui s'enfuit, d' émotions trop intenses transformées en fantômes. Des ossements amulettes, des talismans et fétiches dérisoires tentent un Ne m'oublie pas qui nous rappelle que tout est vanité. La fragilité délicate des céramiques de Dietlind Wolf renforce ce sentiment de beauté fugace et transitoire.  






Galerie 3e Parallèle


66 rue Notre Dame de Nazareth

75003 Paris




Jusqu'au 18 octobre 2015





Photographs ©  Lyndie Dourthe et Lovmint 

4.10.15

Utterly Blue, Glorying White











Do you know the New York sky? You should, it is 

supposed to be known. It is outsanding. It is a serious

thing. Can you remember the Paris sky? How unreliable, 

most of the time gray, often warm and damp, never quite

perfect, indulging  in clouds and shades; rain, breeze and

sun sometimes managing to appear together. But the New

York sky is blue, utterly blue. The light is white, a 

glorying white and the air is strong and it is healthy too. 

There is no foolishness about that sky. It is a beautiful

 thing. It is pure. 





Louise Bourgeois, the puritan



Photograph :  Louise Bourgeois, Repairs in the sky from the series What is the Shape of this Problem, 1999 © Moma

   

20.9.15

Landscape. The Ribbon of Hours


O for a Life of Sensations rather than of Thoughts! 








Allongée sur le sable j'écoute les sons bleus, cotonneux du bord de mer, le sac et le ressac font écho au battement enfoui de nos coeurs. Scintillants, éclatants et durs comme du diamant, des débris de pensées roulent sur l'écume des heures. Des rêveries à la dérive flottent et se répandent dans le ciel, fouettées par la marée. 
Les yeux fermés, éblouis de lumière, chacun porte en soi un paysage intérieur qui donne prise au vent dans le grand fracas de sa mémoire.
Pour moi aujourd'hui c'est un long ruban de mers qui claque comme un cerf-volant au bout de ses longues lignes de paysages marins, les mers noires de côtes déchiquetées dans la tempête, les mers champêtres vertes et calmes dans les prés où tangue un clocher à l'heure de midi, les mers tropicales de turquoise et d'or dans la respiration de la nuit, les plages d'encre violette de Cornouailles sur le papier de La promenade au phare*.  Chacun s'est construit au hasard des jours ces paysages portatifs, ces cerfs-volants cousus des émotions et de la couleur des heures, chapelets de gaze et de brume qu'on égrène sous les ciels changeants de nos humeurs, ce grand océan liquide répandu sur le sable et vaporisé dans le ciel où les nuages sont des vagues renversées.

 

Photograph © Hanna Ljungh, Vivisections I


*Virginia Woolf,  To the Lighthouse 



16.9.15

Petits Tableaux et Fragments. Caffeehimmel im Köln


Tu lis les prospectus, les catalogues, les affiches qui chantent tout haut. Voilà la poésie ce matin. 


Guillaume  Apollinaire, Zone 









ERNST

Bonner Straße 56

Köln Südstadt




Photographie, Cappuccino et Chai latte  © J'attends...


17.8.15

The Unknown and the Vanished

 






Second–hand books are wild books, homeless books; they have come together in vast flocks of variegated feather, and have a charm which the domesticated volumes of the library lack.


Virginia Woolf, Street Haunting : A London Adventure




Souvent un livre nous arrive par des chemins détournés mais nécessaires et sûrs auxquels nous ne prêtons pas attention parce que le quotidien et ses obligations nous laissent peu de temps pour voir l'imperceptible. Ainsi il n'y a pas de hasard, le livre, je veux dire le vrai livre celui que d'autres ont serré dans leurs mains parfois sur leur coeur, le livre-oiseau qui attend de vous toucher d'un trait de plume s'est souvent posé depuis longtemps sur les rayons d'une bouquinerie. 
Certains  vous attendent dans des cartons sur les brocantes et vide-greniers. Tel jour vous rangez votre bibliothèque et vous vous apercevez que vous avez tout Marguerite Duras mais pas L'Amant de la Chine du Nord. Livre prêté, livre perdu. Vous vous dites qu'il vous le faut retrouver absolument. Le dimanche suivant le livre se donne à vous. Une couverture blanche Gallimard là dans une caisse... Vous enfoncez la main à l'aveugle sans voir les titres dans ce nid tout chaud. Oh surprise ! L'amant de la Chine du Nord. L'Amant - vous l' avez en plusieurs exemplaires, prix Goncourt oblige, combien d'exemplaires vendus ? Mais l'Amant de la Chine du Nord ! 






Nijinski 

15 rue du Page 
1050 Ixelles Bruxelles


Les Petits Riens 

101 rue Américaine 
1050 Ixelles Bruxelles





Photograph found on Messy Nessy Chic 






7.8.15

Blindness and Insight. Perte d'auréole


Sois toujours poète, même en prose...

Baudelaire, Hygiène









Pourquoi perd-on ses objets ? Quel est le sens à donner à ces petits tracas ? Que nous dit notre inconscient de ces offrandes au monde, à la vie, aux petits dieux du quotidien? Comment renaît-on de ces menus dépouillements? Entre lien et rupture perd-on son identité à chaque fois -- pour mieux s'en ressaisir ? Fragments ou ellipses quelles figures se dessinent dans ces petits rites de passage ? Qui saura les déchiffrer ? *




...vous connaissez ma terreur des chevaux et des voitures. Tout à l'heure, comme je traversais le boulevard, en grande hâte, et que je sautillais dans la boue, à travers ce chaos mouvant où la mort arrive au galop de tous les côtés à la fois, mon auréole, dans un mouvement brusque, a glissé de ma tête dans la fange du macadam. Je n'ai pas eu le courage de la ramasser. J'ai jugé moins désagréable de perdre mes insignes que de me faire rompre les os. Et puis, me suis-je dit, à quelque chose malheur est bon. Je puis maintenant me promener incognito, faire des actions basses, et me livrer à la crapule, comme les simples mortels. Et me voici, tout semblable à vous, comme vous voyez !










Photographie © Valery Lorenzo

* J'attends...


28.7.15

Fabrique et Prodiges. Hubert Duprat at Play with Nature














Rien ne m'a plus étonnée ni enchantée que le prodige de collaboration entre Hubert Duprat et le trichoptère, insecte commun qui peuple nos rivières et dont j'ignorais à ce jour l'existence. A l'aide de la soie sécrétée par ses glandes salivaires qui lui sert de mortier et de colle pour assembler les menus détritus qu'elle trouve dans sa biotope, brindilles, graviers ou débris de coquillages, la larve du  trichoptère fabrique un fourreau de protection pour se défendre contre ses prédateurs. Hubert Duprat s'est demandé ce que produirait cet orfèvre de l'assemblage s'il ne trouvait à sa disposition que feuilles d'or, perles d'eau et lapis-lazuli. Il les a mis à l'épreuve dans son laboratoire. 
Marquetterie sauvage, beauté accidentelle, désir de coquille nous émerveillent et nous interrogent mais le plus prodigieux est de les voir à l'oeuvre. 


Vidéo et bijou d'art découvert à l'exposition Dries Van Noten Inspirations au MOMU à Anvers.









MOMU Musée de la mode de la province d'Anvers
Nationalestraat 28
Anvers


*D'après le titre d'une exposition d'Hubert Duprat

Photographs: 1 Fabrice Gousset, 2 Frederic Delpech


17.7.15

Mirabilia Mundi. Visiting Monk's House



 It is so strange to bring the dead to life again. 










Pour chacun, la couleur de l'eau reflète les mouvements de son âme. Toute une palette changeante et mouvante, le ciel de nos humeurs :  pour moi aujourd'hui la couleur de l'eau se confond avec les vibrations de l'air saturé de vert de Monk's House, une eau de rivière, miroir au mercure, où jouent la mousse les fougères et les iris. 
Il n'y a pas de mot pour décrire l'enveloppement qui vous serre le coeur dans la maison verte de Virginia. Plus de Woolf, seulement Virginia dans l'étendue sans limite d'une existence toute entière là, de l'enfance à la mort, dans l'unité une et indivisée de son être éternel. De sa plume elle a forcé le mur d'eau qui nous sépare de l'invisible, elle a plongé toujours plus profond dans ces eaux dont la palette a fini par s'ajuster à sa vision. Des eaux ouvertes pour se refermer aussitôt après son passage, avec pour seul viatique vers l'au-delà, les poches emplies de lichens et de graines
Après la visite de Monk's House et de son jardin de chintz, les pas de Virginia vous portent jusqu'à la rivière. De génération en génération, les grenouilles se passent le mot pour raconter au voyageur sa noyade dans les eaux de l'Ouse, un concert de voix dilatées aux basses instables, matériau organique qui dessine des ronds dans l'air comme une partition d'Horatiu Radulescu. 












Rodmell, Lewes

 East Sussex, BN7 3HF




  * Mary Oliver, Sleeping in the Forest

* Our garden is a perfect variegated chintz: asters, plymasters, zinnias, geums, nasturtiums and so on: all bright, cut from coloured papers, stiff, upstanding as flowers should be.  VW 


Link : The Dahlia Paper blog



28.5.15

Avec qui passez-vous vos nuits ?



La nature est à l'intérieur. 

Paul Cézanne










La nuit est noire comme une coquille, bientôt elle va s'ouvrir et il en sera fini de son opacité protectrice. Bien calée au creux des pages de mon livre, je flotte je tangue et je chavire. Les pages tournent, les lettres dansent, un paysage de mots se fait jour. Tout semble si clair et si limpide, je ne lis pas c'est le livre qui me lit. J'habite dans ses plis, je dors éveillée entre ses lignes. Je suis si proche de son auteur, il me semble qu'il me parle là maintenant dans la fragilité de ce miracle qui se répète au fil de mes insomnies. Bientôt les premiers oiseaux vont chanter et briser le cercle de silence qui ordonne le monde autour de mon lit. La montée du jour va repousser cette voix, renvoyer cette âme qui s'est tue aux confins de l'espace inhabité. 
Le Tholonet juillet-aout 1960, la lumière est intense. La mer comme un diamant taillé aiguise la pensée fait miroiter les points de vue, à moins que ce ne soit la montagne Sainte Victoire tant de fois peinte par Cézanne qui étale ses nappes et ses failles en grandes vagues bleues sombres. C'est de là que Merleau-Ponty me parle, interroge pour moi, comme pour la première fois ce qui fait la vision d'un peintre, "cette vision dévorante que l'oeil habite comme l'homme sa maison."

"L'oeil voit le monde et ce qui manque au monde pour être tableau."
Soudain ce monde s'ouvre pour laisser voir le dedans du dehors, non seulement je vois clair mais je suis transparente, les objets me traversent. Moi aussi je peux "puiser à cette nappe de sens brut" qui rayonne. Je comprends tout, le passé et le présent. Je suis prise "dans le tissu du monde" comme du temps où de mon enfance j'avais le pouvoir de me mettre dans une fougère, d'être fleur ou nuage. 
"Puisque les choses et mon corps sont faits de la même étoffe, il faut que sa vision se fasse de quelque manière en elles, ou encore que leur visibilité manifeste se double en lui d'une visibilité secrète."

Des heures de sommeil en moins mais pas de nuits perdues puisque je m'y retrouve étonnée comme d'un premier matin. "La nature est à l'intérieur dit Cézanne." L'enfance n'est pas un temps qui n'est plus, elle est un territoire, une île, un éclair qui jaillit aussitôt retrouvé aussitôt reperdu. 
Qu'en restera-t-il demain matin? 






Le livre lu dans la nuit est L'Oeil et l'Esprit de Maurice Merleau-Ponty. Les citations sont toutes extraites de cet ouvrage écrit au Tholonet à l'été 1960, les dernières vacances du philosophe poète  puisqu'il succombera au printemps suivant d'un arrêt du coeur.  







L’énigme tient en ceci que mon corps est à la fois voyant et visible. Lui qui regarde toutes choses, il peut aussi se regarder, et reconnaître dans ce qu’il voit alors l’ " autre côté " de sa puissance voyante. Il se voit voyant, il se touche touchant, il est visible et sensible pour soi-même. C'est un soi, non par transparence, comme la pensée qui ne pense quoi que ce soit qu'en l'assimilant, en le constituant, en le transformant en pensée -- , mais un soi par confusion, narcissisme, inhérence de celui qui voit à ce qu'il voit, de celui qui touche à ce qu'il touche, du sentant au senti -- un soi donc qui est pris entre des choses, qui a une face et un dos, un passé et un avenir...





 Maurice Merleau-PontyL'Oeil et l'Esprit



Cézanne, La montagne Sainte Victoire vue de la route du Tholonet