29.1.16

Landscape of Indetermination. Drawing Venice



Mais enfin, mais enfin qu'est-ce qu'il y a dans le voyage ?

Gilles Deleuze 














Intensités immobiles et pays profonds



Dans Abécédaire, l'entretien accordé à Claire Pernet qui ne devait être diffusé qu'après sa mort, Gilles Deleuze s'interroge sur le Voyage. V comme Voyages. Il réfléchit tout haut et laisse filer sa pensée attrapant aux passages quelques références qui lui sont chères. Il évoque d'abord Crack up de Fitzgerald, le voyage ne serait qu'"une rupture à bon marché", puis moqueur, il cite de mémoire la phrase de Beckett dans Mercier et Camier. "Nous ne voyageons pas pour le plaisir de voyager, que je sache; nous sommes cons, mais pas à ce point." Il revient plus longuement sur son concept de nomadologie. "Rien n’est plus immobile qu’un nomade. Rien ne voyage moins qu’un nomade." L'unique bonne raison de voyager serait celle qu'en donne Proust. Voyager "en bon rêveur", pour aller vérifier si ce qu'on a rêvé est bien là. Puis il nous fait partager ses intensités verticales, ses terres étrangères. "En tous cas, j'ai pas besoin de bouger. Moi, toutes les intensités que j'ai, c'est des intensités immobiles. Les intensités ça se distribue forcément dans l'espace extérieur. Moi, je t'assure que quand je lis un livre que j'admire, que je trouve beau, ou quand j'entends une musique que je trouve belle, vraiment, alors j'ai le sentiment de passer par de telles étapes, jamais un voyage ne m'a donné de pareilles émotions... Alors pourquoi j'irais les chercher, ces émotions-là qui ne me conviennent pas très bien alors que je les ai en plus beau dans des systèmes immobiles comme la musique ou la philosophie ? Il y a une géo-musique, il y a une géo-philosophie, je veux dire c'est des pays profonds, hein. Ben c'est plus mes pays, oui... "  



On pourrait ajouter la géo-littérature. La Stendhalie, les pays de neige de Kawabata, Walden pond ... Chacun complètera la liste de ses territoires rêvés, de ses pays immobiles. Découvert à la librairie Volume, rue Notre-Dame de Nazareth, le beau livre blanc des éditions bruno, Venice. A document. Comme oubliées dans les pages du livre des photographies de Sant'Andrea de la Zirada de Sissi Roselli. Juste pour vérifier la couleur et la texture des pavés. 





Librairie Volume

47 rue Notre-Dame de Nazareth

75003 Paris 





Liens : Les Caves du Majestic, 2013

Venice. A Document by Sara Marini, Alberto Bertagna, bruno, 2014

Samuel BeckettMercier et Camier


20.1.16

The Hearsay of the Soul. Hercules Seghers' Portraits of Landscape


Elle savait que j’étais de ceux qui marchent, 
et, partant, sans défense.

Werner Herzog,  Sur les chemins de glace















De La conquête de l'inutile, Werner Herzog écrit : "C'est un texte purement littéraire déguisé en journal de bord. A l'origine c'était bien sûr un journal, mais seule une toute petite partie de ce qui y est écrit est tiré d'événements effectivement survenus au cours du tournage de Fitzcarraldo. Je décris avant tout des événements intérieurs. Je le redis, c'est le rêve d'un homme qui a la fièvre. C'est un livre de catastrophes inventées. Comme si, pendant que je tournais Fitzcarraldo, j'écrivais de la poésie sur ce que c'est que vivre dans la jungle. "
Pour celui qui sait écouter la plante de ses pieds, pour un marcheur en ligne droite qui ne s'embarrasse pas des réseaux routiers des hommes mais qui sait aller de Munich à Paris "à vol d'oiseau" pour sauver par cet acte fou de la mort une amie proche, pour celui qui voit autour de lui le réel, tout le réel et un peu plus, pour celui-là, pour le marcheur des chemins de glace, les paysages d'Hercules Seghers sont assurément des paysages intérieurs. Pétris de drames prémonitoires ou remémorés, de reliefs escarpés, de vallées encaissées, de pentes ravinées par les glaciers d'une âme prisonnière de l'arrière cour d'une maison de Haarlem, ces paysages de Seghers dessinent le rêve d'un homme qui a la fièvre mais qui ne cesse de s'affronter à la réalité fût-elle en crise.
A-t-il jamais quitté la platitude de sa Hollande natale ? Est-il nécessaire de parcourir le monde pour rendre compte du réel ? De quel courage faut-il s'armer pour regarder en face la réalité et tenter de lui donner forme ?
En 1938 dans une lettre à  Georg Lukàcs, Anna Seghers écrit ces mots qui résonnent aujourd'hui étrangement:
"Cette réalité des époques de crise, des guerres, etc., il faut donc d'abord en supporter la vue, la regarder en face et deuxièmement, lui donner forme. D'innombrables gens nommés artistes ne la regardent en face qu'apparemment, ou pas du tout. De tout temps, dans l'histoire de l'art, ces époques de crise sont marquées par de brusques ruptures de style, par des expériences, par d'étranges formes bâtardes, et c'est seulement après que l'historien peut voir quel chemin était praticable..."* 



*Correspondance entre Anna Seghers et Georg Lukàcs, 1935




Werner Herzog, Hearsay of the Soul, Installation, Getty Center,2012
Wallraf Museum, Cologne, 2015

Hercules Seghers, Rijksmuseum

Anna Seghers, L'Atelier fiction, France Culture

Portrait Anna Seghers, mise en scène de Françoise Lepoix, Théâtre Antoine Vitez Aix, mars 2016


2.1.16

Happy New Year !









I would prefer not to...
and you ? 


Best wishes for 2016




 Bartleby d'après Herman Melville,réalisateur Maurice Ronet, 1976