27.8.16

Vanishing into White. Entre ciel et terre

A Gérald 


Ah la Normandie ! J'ai une rage de Normandie, comme on a une rage de dents,
 seulement cette rage de Normandie ne me fait mal que quand je suis loin !

Jules Barbey d'Aurevilly*


Ah ! Que le monde est grand à la clarté des lampes !

Charles Baudelaire** 








Depuis que le beau livre de Gérald Le Signe et de Bruno Alder m'est tombé dans les mains, la Manche un regard singulier, combien d'heures ai-je passé à rêver entre ses pages comme dans un livre d'images... C'est là que mon voyage a commencé sous le halo de ma lampe de chevet. J'ai appris à y lire ce regard singulier comme un jeune enfant apprend à déchiffrer, pas encore sûr de ses signes mais avide d'explorer. Je me suis fait happer par l'atmosphère de brume marine, les odeurs de varech, la mer qui n'est jamais aussi puissante que vue au travers d'une fenêtre. 
Je n'avais pris pour guide de voyage que les légendes de vos photos hâtivement recopiées sur une feuille volante. Quelle vision et quelle photographie! J'ai passé l'épreuve du réel et l'initiation est porteuse de renouveau. Je reviens les bagages chargés de vent, d'embruns et de graines car votre désir de rivage tient autant de l'eau que de la terre. J'ai appris que l'air de la Manche n'est pas celui de l'Océan qui porte avec lui le secret du grand large, le parfum de la fleur de vanille ; l'air de la Manche est un entre-deux, un territoire incertain et toujours renouvelé entre basse-terre et  vives-eaux, qui sent bon le goémon, les herbes de la mer.  





* Lettre à Elizabeth Bouillet du 22 mars 1872

** Charles baudelaire, Le voyage



Alain Corbin, Le Territoire du vide : L'Occident et le désir du rivage, 1750-1840



12.8.16

Sauver quelque chose du temps*. Un jour à Granville

(...) le regard est toujours virtuellement fou.

Roland Barthes**




Deux enfants se tiennent par la main. Un petit garçon en vareuse et une petite fille à la natte. A moins qu'Elle ne se tienne les mains croisées dans le dos pour appuyer son silence. J'aime leurs jambes dont l'absence de dessin appelle la reconstitution de celui qui regarde, l'imprimé fleuri de la robe.
La mer n'est pas loin...
La technique de frottage me touche par sa fragilité. Un dessin d'après photographie, me dit-on. Comment se dégage cette substance photographique ? Qu'est-ce ce qui rend ce tracé si farouchement vivace? L'épreuve du temps à venir, une empreinte insaisissable comme une transmutation de matière ? Le passage du "ça a été" de la photographie au "cela est" de toute éternité du dessin. Peut-être faut-il descendre en soi-même pour trouver l'évidence de cette présence ?** 
Un petit cadre dormant dans mes tiroirs avec son verre soufflé à l'ancienne -une bulle de deux ou trois millimètres vient se poser juste au-dessus de la signature de l'artiste, semblait attendre ce crayon depuis longtemps. Les objets qui nous arrivent en savent-ils plus long que nous ? 






* "Sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais." Annie Ernaux,
 Les Années

** Roland Barthes, La Chambre claire

***"Je devais descendre davantage en moi-même pour trouver l’évidence de la photographie" Roland Barthes, La Chambre claire 







Atelier Véronique et Philippe Senlanne 
 34 rue des Juifs 
50400 Granville










Granville est la première ville que je vois du Cotentin, la rue des Juifs ma première étape, un coup au coeur pour cette ville et pour cette rue si singulière avec ses ateliers d'artistes, céramistes, galerie de photos, boutiques d'antiquités, librairie, friperie. Un bonnet de bain des années 50-60 avec des fleurs blanches vu dans la vitrine de Chats-nippés (fermé alors), me trotte encore dans la tête. 






Chats-nippés
58 rue des Juifs
50400 Granville


Frédéric Régnier
Céramique
48 ter rue des Juifs
50400 Granville


Pauline antiquités
59 rue des Juifs
50400 Granville






Photographies : 1- Dessin de Véronique Senlanne 
 2- Atelier Senlanne, vanités en céramique


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6.8.16

De terre ou de mer ? A la découverte du Cotentin

Ô que je voudrais qu’il vous fût possible de voir un peu mon endroit natal avec moi! J’imagine que ce pays vous plairait par bien des côtés de sa physionomie, et que vous comprendriez combien je m’y sens de plus en plus attaché. Je crois que sa physionomie seule serait suffisante pour attacher un homme fait pour recevoir des impressions. 
Ô encore un coup, comme je suis de mon endroit !  

Jean-François Millet*





Dans le cellier de la maison natale de Jean-François Millet, bien rangée sur les étagères de la vaisselle en terre ayant appartenu à la famille du peintre, très unie dit-on. Des jarres et des pots pétris de terre et d'amour comme les draps de chanvre et d'ortie qui gardent la mémoire des grands événements de la vie, mariage, accouchement, premiers émois. Toute la vie des choses muettes est là devant vous. Le plus vivant ne se donne pas à voir ni à sentir d'emblée dans ce hameau de Gruchy qui respire l'arrière pays plus que la mer si proche. Juste au bout de la ruelle derrière une barrière coutançaise, la mer vous surprend comme une bête tapie derrière les rochers. 







Maison natale Jean-François Millet

Hameau Gruchy

50440 Gréville-Hague






Photographies : J'attends...
Dessin de Jean-François Millet ,  Le vieil arbre du bout du village de Gruchy.
Orme, depuis, abattu par la tempête.

* Lettre du 12 août 1871 à Sensier


5.8.16

Dans l'eau comme dans le ciel. A la découverte du Cotentin.

 L’histoire de ma vie, de votre vie, elle n’existe pas, ou bien alors il s’agit de lexicologie. Le roman de ma vie, de nos vies, oui, mais pas l’histoire. C’est dans la reprise des temps par l’imaginaire que le souffle est rendu à la vie. Rien n’est vrai dans le réel, rien.

Marguerite Duras*









Une immensité de douceur dans un ciel blanc et vide. Granville, petite ville portuaire du Cotentin aurait pu être le lieu de tournage de Moderato Cantabile si Peter Brook et Marguerite Duras en repérage  sur la côte de La Rochelle à Bordeaux n'avaient choisi une ville au bord d'un fleuve**, pour éliminer tout espoir d'ouverture sur un ailleurs. L'obscurité du vide, un certain état de vacuité pour frôler de sa plume le désir féminin de perte de soi, d'anéantissement. 




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* Marguerite Duras, propos rapportés par Frédérique Lebelley, 
in Duras ou le poids d’une plume, Grasset, 1994.
** Blaye en Gironde